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Livre : 2 € de l’heure, La face cachée de l’« intégration » à la française, de Nejma Brahim


Les lecteurs de cette news letter savent, au moins dans les grandes lignes, ce que, dans ce livre, dénonce Nejma Brahim, journaliste à Mediapart en charge des questions de migrations. Les conditions de travail des sans-papiers, ils les connaissent s’ils ont regardé sur Arte Premier de corvée, ce film qui raconte la vie sous les radars, malgré deux emplois dans la restauration et la livraison, d’un travailleur clandestin malien (qui sera projeté à la prochaine édition des Murs ne servent à rien). Ou bien encore pour avoir vu (lors de la précédente édition) Marie-Josée vous attend à 16h, ce film qui raconte combien il est difficile d’accompagner des personnes exilées dans le dédale administratif. Quant aux plus téméraires, ils auront lu Vivre sous la menace, les sans-papiers et l’État, le livre beaucoup plus complexe de l’ethnographe Stéphane Le Courant (2022).

Pour autant, on n’en est pas moins surpris et révolté en découvrant les témoignages des personnes que Nejma Brahim a rencontrées. Ces personnes, on les retrouve de chapitre en chapitre, selon qu’elle traite, avec empathie mais sans pathos, de leurs rêves et de leurs désillusions, de la pénibilité des travaux qui leur sont confiés, de leurs conditions de vie – qui n’est souvent que survie –, de leur exploitation et de leur sujétion obligée à des politiques, des préfets, des fonctionnaires et des employeurs, de leur crainte à l’idée d’être expulsées.

Les sans-papiers sont nommés ainsi parce qu’ils n’ont pas de papiers officiels mais ils sont contraints d’accumuler plus de papiers que n’importe quel citoyen en situation régulière. Quant à la dématérialisation des procédures, elle leur rend la tâche encore plus compliquée.

On a beau savoir, on n’en est pas moins choqué par la description de l’ampleur du travail au noir qu’ils assurent, des risques professionnels qu’ils encourent, des incohérences de gouvernements qui optent en faveur d’un manque à gagner pour les régimes de protection sociale français.

Il aura fallu 14 pages à Nejma Brahim pour relater la succession de déboires d’Hajer, une jeune femme tunisienne, médecin, victime de la violence institutionnelle alors qu’elle avait déjà occupé plusieurs postes à responsabilité dans des hôpitaux publics. Et 6 pages pour raconter l’histoire ahurissante d’Eldhose, un Indien catholique qui a été arrêté, suite à une dénonciation, dans une église où il était venu prier, parce qu’il était soupçonné d’avoir sur lui un couteau. Deux « cas », au hasard.

L’on se détend un peu au récit de la mobilisation passée et présente des collectifs de sans-papiers et de travailleurs illégaux et précaires, ainsi que de celle des associations solidaires qui les défendent. Avant de resombrer avec le récit de l’élaboration pleine de louvoiements de la loi « asile et immigration » promulguée le 26 janvier dernier (le livre de Nejma Brahim est tout récent), qui a pour but de contrôler l’immigration et d’améliorer l’intégration, mais une intégration « à la française », « à la Darmanin », alors que l’implication spontanée et courageuse de ces travailleurs devrait leur ouvrir systématiquement les voies de la régularisation, à eux qui soutiennent pourtant bien des pans de notre économie.

Lire Nejma Brahim – sans oublier que beaucoup de personnes n’ont pas osé lui parler, comme elle le mentionne –, c’est réveiller notre vigilance en faveur de ces personnes invisibilisées (1% de la population française) que nous croisons dans nos rues, en ville ou à la campagne, où elles installent la fibre… tel sans doute ce jeune homme noir, la semaine dernière, en plein soleil dans sa nacelle, à Dieulefit.

Pour passerelles, Catherine Goffaux

2 € de l’heure, La face cachée de l’« intégration » à la française, Nejma Brahim – Le Seuil, 2024.

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