Ce matin la mer est calme de Antonin Richard

Ce journal d’un marin sauveteur en Méditerranée est écrit à la va-vite, édité de même. Peu importe. Il faut le lire parce que toutes les photos, tous les reportages que nous avons vus, malheureusement inexorablement semblables, nous ont peu à peu mithridatisés*. Et aussi parce que si nous savons qui sont les migrants, nous savons moins qui sont ceux qui s’engagent pour les sauver.

Antonin Richard, 24 ans, n’a été d’abord qu’un jeune-rebelle-activiste-de-chez-Greenpeace (c’est lui qui le dit) à Lesbos en 2015, avant d’enchaîner les missions : 2016, pilote sur le Sea-Watch 2, 2017, pilote sur le Vos Prudence affrété par Médecins sans frontières, 2018, sur l’Aquarius avec SOS Méditerranée, août 2019, sur l’Ocean Viking. Et donc de rejoindre de grandes ONG.

Son récit est dominé par l’incessante noria des zodiacs, des yachts, des centifloat (bouées), des coquilles de noix, des canots pneumatiques ou semi-rigides, des navires de gardes-côtes, des bateaux de pêche, des tankers, des vedettes militaires, des pétroliers, des rubber boats (rubber : caoutchouc), des supply (chargés du ravitaillement), des frégates de trafiquants… et des embarcations vides… qui tournent en rond entre les côtes libyennes, le plus souvent, et les frontières de l’Europe. S’il parle relativement peu des rescapés – ces personnes ni tout à fait mortes ni vraiment vivantes qui flottent entre ces deux mondes –, il campe en revanche les profils de quelques compagnons sauveteurs. Il avoue ses peurs face aux responsabilités, confie ses coups de colère et ses crises de larmes. Assumant une ligne politique radicale et ayant fait du sauvetage un geste politique, il sait que le sauvetage, nécessaire, n’est qu’une réponse limitée à la démagogie des politiques européennes et aux pratiques des régimes dictatoriaux.

La notice biographique en dernière page signale qu’Antonin Richard a quitté à nouveau sa vie de modeste privilégié lillois pour préparer techniquement d’autres bateaux de sauvetage, ce qu’il doit considérer, avec toute l’humilité qui le caractérise, comme un autre de ses « devoirs de marin », en moins périlleux.

Catherine Goffaux

* Mithridatiser : immuniser en accoutumant à un poison. Sens figuré : rendre insensible.