Actualité

Retour sur la soirée de la biennale Traces

À l’invitation de Modus Operandi, du Réseau Traces et de Passerelles, la rencontre du mardi 6 décembre portait sur une cartographie de l’accueil et des réseaux de solidarité, entre villes et campagne.

Des citoyens, des collectifs et associations s’engagent et ouvrent, parfois avec les pouvoirs publics, des maisons et autres lieux d’accueil. De quelle nature sont-ils ? Comment fonctionnent-ils ? Telles étaient les questions posées par Karine Gatelier de Modus Operandi, Sébastien Escande de Traces, à Pauline Plancq de La Trame, Sophie Boulay du Collectif Soutiens Migrants Croix-Rousse de Lyon et Chloé Peytermann de Passerelles.

Nous étions une grosse vingtaine de personnes dans le foyer de La Halle à Dieulefit. Lors de cet échange d’expériences très diverses nous avons pu dégager des pistes de travail.

Ce que fait et fera Passerelles à Dieulefit est bien connu des lecteurs de cette lettre d’information. L’engagement au long cours d’Espoir l’est sans doute moins, mais sa présidente, Hélène Lemberthe, a pu expliquer comment cette association met à l’abri et accompagne des familles exilées à Dieulefit depuis de longues années.

Comment travaillent les autres ?

Karine Gatelier mène des actions de recherche sur les violences structurelles et sur les questions de l’asile et de la migration à Grenoble. Elle est engagée dans le réseau Universités sans frontières, a créé un atelier-radio qui conçoit des espaces de parole protégés pour les exilés, puis diffuse les documentaires dans des espaces publics. Au centre de toutes ces actions menées à Grenoble, se trouve l’accueil inconditionnel, i.e. sans considération du fait que les personnes migrantes aidées possèdent ou non des papiers.

Sébastien Escande assurait jusqu’il y a peu la coordination du Réseau – plusieurs centaines d’acteurs impliqués – et de la Biennale Traces qui présente durant l’automne dans toute la Région Rhône-Alpes 150 événements portant sur les parcours migratoires anciens et récents.

Sophie Boulay a beaucoup œuvré au collège Maurice-Scève de la Croix-Rousse, squat de 450 exilés qui a existé de septembre 2018 à octobre 2020, puis elle a accompagné les 52 mineurs non reconnus, en attente de réponse du juge des enfants, vivant au squat Le Chemineur, une partie d’entre eux ayant été transférée dans un nouveau lieu dédié, La Station. À Lyon, les militants veillent à ce que, tant que le juge n’a pas dit à un mineur, « Non, tu n’es pas mineur », il soit considéré comme mineur pendant son temps d’attente. Elle a expliqué comment les squats ouverts depuis la fermeture du collège ne permettent pas à tous les majeurs à la rue à Lyon d’avoir un toit, comment le 115 est saturé.

Pauline Planck, bénévole de la Cimade, appartient aussi à un collectif du Diois qui accueille des exilés, les accompagne dans leurs démarches. Après avoir créé cette association dite La Parallèle, elle participe au montage du projet d’OACAS de l’association La Trame. À Die, comme ailleurs, les militants peinent à trouver des logements alors même qu’ils disposent du financement. La pression sur le logement y est forte.

Ville ou campagne, les contraintes sont différentes : en ville se trouvent les administrations, à la campagne, les transports en commun sont rares. Être accueilli et vivre sur un territoire, c’est aussi se déplacer (chez le médecin, chez l’avocat, auprès des enseignants…).

Quels que soient les lieux où ils arrivent, les exilés rencontrent d’énormes difficultés pour accéder au travail, surtout s’ils sont sans-papier, évidemment. Faute de trouver un travail, pas d’autonomie pour eux. Ce 6 décembre, la question du travail a dominé les échanges.

La Trame jouira dans le futur d’un agrément spécifique similaire à celui dont jouissent les Communautés Emmaüs, lesquelles gèrent des ressourceries où des adultes ont une activité en échange du versement d’un pécule de 500 euros par mois. La Trame commence peu à peu son activité dans le Diois.

Que faire ?, demandait Vladimir Ilitch Lénine, qui avait sous-titré son traité politique, Questions brûlantes de notre mouvement.

Sur le plan juridique, lutter en faveur de la présomption de minorité, de l’obtention de titres de séjour, de la multiplication des Contrats Jeune Majeur qui permettent de faciliter l’obtention du permis de séjour pour les mineurs qui deviennent majeurs.

Partager des connaissances et des ressources, ce qui se produit chaque fois que nous rencontrons d’autres personnes engagées dans l’accueil, ce qui s’est produit le 6 décembre, ce qui s’était produit le 26 novembre lors de la deuxième journée inter-collectifs.

Informer, conscientiser l’opinion publique, par exemple, via les réseaux de parents d’élèves. Évaluer les opposants à l’accueil (notamment dans les villages), essayer de leur parler.

Solliciter les élus pour obtenir leur soutien, les impliquer pour mettre en place avec eux des initiatives. Multiplier les soutiens, car une municipalité, fût-elle bienveillante, n’est là que pour six ans.

Divulguer les vrais chiffres du travail ; faire savoir que des structures d’État emploient des sans-papiers, que Frontex sous-traite certaines tâches à des entreprises privées, que les frontières ne seront jamais vraiment fermées parce qu’elles génèrent du business ; rappeler que pendant les confinements, c’étaient les sans-papiers qui ont le plus travaillé, que cette main d’œuvre précarisée, exploitée, crée de la richesse, paie en pure perte des cotisations sociales.

Appeler à la réquisition des logements vides, qui abondent dans les grands centres urbains. Et pourquoi pas à celle des résidences secondaires inoccupées le plus clair de l’année. Recruter des hébergeurs. Organiser des boucles d’hébergement en sollicitant des connaissances de connaissances afin de faire passer les personnes sans toit de maison en maison, tout en gardant en tête le fait que le logement chez l’habitant n’est pas la meilleure solution – elle est épuisante pour tous –, que le logement autonome est à privilégier.

Manifester sur la voie publique, comme cela s’est fait devant le tribunal administratif de Montreuil ce même 6 décembre lors d’un recours contre une procédure d’éloignement. Comme l’avaient fait en octobre 2021 les hôtes du Refuge solidaire en descendant à la gare de Briançon. Comme l’avait fait la Marche nationale des sans-papiers en septembre et octobre 2020. Ils partirent 300 mais par un prompt renfort, se virent 3000 en arrivant à Paris.

Alerter la presse locale chaque fois que se produit une irrégularité, une injustice, chaque fois que l’on manifeste (sans mettre en danger ces personnes vulnérables contraintes à rester discrètes, à faire profil bas, ayant souvent choisi de s’organiser une vie en-dessous des radars). Lire l’excellent Vivre sous la menace, les sans-papiers et l’État de Stefan le Courant, que Passerelles fera venir bientôt à Dieulefit.

Sébastien Escande a souligné combien le nombre de collectifs et de municipalités qui s’engagent est impressionnant. Que rares sont les endroits où « ça » s’est vraiment mal passé, l’accueil. Pourquoi n’arrive-t-on pas à créer un vrai contre-pouvoir ? a-t-il questionné. Un contre-pouvoir rassemblant le plus de bénévoles possible – ces bénévoles qui pour le moment suppléent aux carences de l’État – disposés à engager un plaidoyer, à le remettre en cause, l’État, à créer un rapport de forces, à lui forcer la main à terme. Hélène a rappelé que l’accueil des Ukrainiens prouve que quand les États et les citoyens le veulent, beaucoup de choses sont possibles, beaucoup d’élans de solidarité naissent. Car « Penser l’immigration, c’est penser l’État », comme l’écrit Abdelmalek Sayad dans la plaquette de présentation de la Biennale Traces.

Racontée comme cela, cette rencontre semble avoir défini un programme pour l’avenir. Pas du tout ! puisque ce programme, c’est déjà le quotidien de la plupart des personnes qu’elle réunissait.

Catherine Goffaux